Monsieur ! : l'interview

Rencontre avec "Monsieur" Bob Tazar

La rentrée littéraire de septembre 2012 est marquée par la sortie de « Monsieur ! », le nouveau livre de Bob Tazar. De retour de Nouvelle-Calédonie où il vient de passer quatre ans, l'auteur nous a reçu chez lui, au calme, sur les hauteurs de Nice. Interview.

 

Qui est ce Monsieur  et pourquoi ce titre pour votre nouveau livre ?

BT : Ce Monsieur n'est autre que moi-même. Lorsque j'exerçais le métier de documentaliste dans un collège d'une petite île de Nouvelle-Calédonie, joliment appelée "l'île qui parle à votre cœur", ce mot est celui que j'ai le plus entendu. Il était prononcé par mes petits élèves kanak, qui m'interpellaient régulièrement. Il était parfois suivi d'un embryon de phrase, généralement pas plus de deux ou trois mots, souvent un seul. Ce mot de « Monsieur ! » constituait en fait bien souvent le principal lien de communication entre mes élèves et moi-même... et a donc tout naturellement donné son titre au livre.

 

Des phrases de deux ou trois mots ? Comment est-ce possible ?

BT : Si la Nouvelle-Calédonie est un territoire français depuis 1853 et sa prise de possession par les armées de Napoléon III, ses habitants d'origine, les Kanak, ont conservé leurs propres langues, vingt-huit au total sur l'ensemble du territoire. Les Kanak se sont en effet battus pour la préservation de leur identité, leurs coutumes, leur liberté, leur survie. Et, bien sûr, leurs langues. Depuis 1992, ces dernières ont d'ailleurs été officiellement reconnues en tant que langues régionales. Le français n'est donc que la seconde langue pour les Kanak, la seule commune à tout le territoire. Sur l'île de Maré, une île de 6 000 habitants ne comptant qu'une centaine d'européens, les élèves ne parlent donc le français qu'au collège. Ceci est une des explications à certaines lacunes...

 

Quel est le sujet de « Monsieur ! », justement ?

BT : Il s'agit d'histoires de la vie quotidienne au collège, mettant en scène les élèves et moi-même. Le point commun entre toutes ces scènes est la difficulté (parfois l'impossibilité) de nous comprendre et cela pour tout un tas de raisons (problème de langue, bien sûr, mais aussi de culture, de codes...). J'avais parfois l'impression d'avoir des martiens en face de moi, tout en étant conscient qu'ils devaient me considérer exactement de la même manière de leur côté. Cela donne des scènes qui, prises au premier degré, peuvent être très drôles. Au second degré, bien sûr, cela est plus curieux, voire inquiétant...

 

Mais comment a-ton pu arriver à cette situation pour le moins curieuse où profs et élèves semblent venir de planètes différentes ?

BT : La situation actuelle est l'héritage direct des vicissitudes de l'Histoire et de la colonisation. Dans le pire des cas, il y a 150 ans, l'apprentissage de la langue française était le moyen d'assimiler les Kanak et de faire disparaître peu à peu leur culture. Dans le meilleur des cas, aujourd'hui, à l'heure plus apaisée du destin commun, il s'agit de leur offrir un bagage pour pouvoir, le cas échéant, évoluer à l'extérieur de l'île. Mais, quel que soit l'angle d'approche, il est clair que tout cela n'est pas naturel, ce qui donne lieu parfois à des scènes totalement ubuesques.

 

Malgré le fait qu'il s'agisse d'une histoire vécue, peut-on parler de roman au sujet de « Monsieur ! » ?

BT : Pas du tout. Il n'y a rien de romancé dans « Monsieur ! ». Tout est rigoureusement exact et authentique, à part le nom des protagonistes. Du coup, il faut plutôt parler de témoignage ou de chronique, termes plus appropriés. Chroniques collégiennes nengone  (nengone signifiant Maré, en langue) est d'ailleurs le sous-titre du livre.