L'interview

 

Bob Tazar est un écrivain né à Monaco et partageant sa vie entre la France et la Nouvelle-Calédonie. Ancien troufion à la fin des années 80, à une époque où tous les petits français étaient conviés à partir jouer à la guerre, il en rapportera la matière de trois romans autobiographiques, dont le deuxième, « L’Esprit d’équipe », auto-publié chez TheBookEdition, va sortir très prochainement.

Nous avons pu le lire en avant-première. Ton incisif, humour décalé, portraits au vitriol, la suite de « Chef, oui chef ! » s’inscrit immédiatement dans la même veine. Brûlot antimilitariste à la lecture duquel personne ne sortira véritablement indemne.

Nous avons rencontré Bob Tazar chez lui, à Nice, où il nous a reçu en toute décontraction, The Seventh One  de Toto en fond sonore.

 

 

Comment vous est venue l’idée d’écrire ces romans autobiographiques sur le thème de l’armée ?

 BT : J’ai toujours été stupéfait par la distorsion incroyable existant entre les récits de service militaire, souvent des anecdotes drôles racontées entre copains, et la réalité de l’instant passé, réellement affligeante. A croire que tous ceux qui ont vécu cela n’en ont conservé que le meilleur ou, plus sûrement, ont la mémoire courte. J’ai décidé, pour ma part, de creuser plus en profondeur à partir de ma propre expérience et de ne rien occulter. Mais, pour conserver une totale liberté de ton, notamment en ce qui concerne l’aspect comique de la plupart des scènes, j’ai choisi de raconter une histoire sous forme de roman et non pas de documentaire.

 

Pourquoi ce sujet du service militaire, curieusement très peu traité, vous tient-il tant à cœur ?

 BT : Je ne vous cache pas que cette expérience du service militaire a véritablement été perturbante pour moi. Ce qui m’a le plus marqué, après coup, c’est justement cette difficulté à en parler sérieusement pour soulever certains problèmes, relatifs à la nature humaine ou à la société. La plupart de ceux qui ont vécu cela en parlent avec légèreté, voire avec nostalgie. Et, malgré mes recherches, je n’ai trouvé personne qui ait écrit sur le sujet. Du coup, dans l’imagerie populaire, le service militaire est considéré comme une expérience de vie bon enfant, relativement formatrice et en aucun cas traumatisante. Je considère, pour ma part, que cette expérience est totalement inutile et que l’on n’apprend pas à une jeunesse à aimer, défendre et respecter son pays par la bêtise, la violence et le non droit.

 

Mais l’antimilitarisme n’est-elle pas une valeur dépassée ?

 BT : Je vous arrête de suite et vais même vous livrer un scoop : je ne suis pas antimilitariste. Enfin, pas trop. Une armée – de métier – est absolument indispensable pour la sécurité de la France et je ne remets pas en cause cela, à la différence de certains anarchistes libertaires dans lesquels je ne me reconnais absolument pas. Je n’aurais rien eu contre un service intelligent et utile. C’est contre la manière avec laquelle ce service était effectué que je m’élève, pas contre l’armée elle-même.

 

Vous reprochez à la plupart des témoignages sur le service militaire de n’être que drôles. Visiblement, pour votre part, vous ne vous y êtes pas beaucoup amusé. Pourtant, on rit beaucoup à la lecture de  « L’Esprit d’équipe ». N’est-ce pas paradoxal ?

 BT : Les militaires, surtout lorsqu’ils sont gradés et en face de jeunes recrues, ont une puissance comique phénoménale. Ils sont constamment dans la caricature d’eux-mêmes et il n’était pas question de passer à côté de cela. De plus, je n’écris bien que ce qui me fait rire... Mais le problème que je ne voulais surtout pas occulter, et qui est également la raison d’être de ce livre, c’est que ce comique bien involontaire est mis au service d’un système oppressif d’une bêtise et d’une violence inimaginable. Dans la plupart des scènes de « L’Esprit d’équipe », on retrouve ces deux aspects d’une même réalité, comique et affligeante à la fois.

 

« L’Esprit d’équipe », traite, au jour le jour, d’événements personnels qui se sont déroulés il y a presque trente ans. Avez-vous réalisé un travail particulier de mémoire pour arriver à un tel résultat ?

 BT : Je suis parti de certains événements clés dont la date était facile à me rappeler : le jour d’arrivée à la caserne, le jour du départ définitif, celui de la première permission au bout de 3 semaines… A partir de cette trame basique, et à l’aide d’un calendrier de l’année 88, j’ai réussi ensuite à insérer dans la chronologie d’autres événements marquants de la vie de la caserne, ainsi que certains événements historiques de la période, facilement datables, comme un référendum au Chili pour le maintien de Pinochet.

Tout s’est alors enchaîné, des faits complètement oubliés me sont revenus en mémoire, l’un appelant l’autre… Je suis maintenant persuadé que toute notre vie est stockée sur le disque dur de notre cerveau, prête à ressurgir pour peu que l’on s’en donne la peine.

 

« L’Esprit d’équipe » est le deuxième tome d’une série de trois. Pourquoi un tel choix, assez surprenant sur la forme ?

 BT : Pourquoi surprenant ? Il y a bien 7 ou 8 tomes d’Harry Potter ! Ce choix s’est en fait imposé à moi tout naturellement, lors de l’écriture de « Chef, oui chef ! », environ aux alentours de la centième page. Je me suis rendu compte que, à ce stade de l’écriture, je n’avais couvert qu’une semaine de toute la période prévue. Après avoir songé pondre un pavé de près de 800 pages, j’ai préféré opter pour trois tomes de 250 pages environ chacun.

 

« Chef, oui chef ! » est paru en avril 2010, « L’Esprit d’équipe » va paraître début décembre 2016. Six ans pour écrire ce nouveau tome. N’est-ce pas un peu long ?

 BT : C’est sûr que je ne suis pas Frédéric Dard, qui a écrit pendant cinquante ans à la moyenne de plus de quatre ouvrages par an. Je suis admiratif de cette productivité mais tout à fait incapable de m’en approcher, ne serait-ce que de loin. Trois parutions en dix ans, c’est vrai que c’est peu, mais j’ai besoin de tout ce temps pour mûrir et peaufiner mon texte.

Surtout, il faut que je cumule à la fois les fonctions d’écrivain et d’éditeur, dans un système d’auto-publication. Je dois donc, en plus de l’écriture, m’occuper de la correction, de la mise en page, de la conception et de la réalisation de la couverture, de gérer les détails administratifs tels que l’obtention d’un ISBN ou d’un copyright… Toute la partie commerciale est également à ma charge, la promotion, l’activation des réseaux sociaux... Il s’agit d’une activité passionnante, mais une activité à temps plein qui laisse peu de place pour l’écriture proprement dite. Et donc qui s’exerce fatalement au détriment de cette dernière.

 

Pouvez-vous nous parler de ce choix de l’auto-publication ?

 BT : Il s’est agit, dans un premier temps tout au moins, d’un choix par défaut. Sans surprise, le tapuscrit de « Chef, oui chef ! » a été refusé par la quarantaine de maisons d’édition auquel je l’avais adressé. Avec, à chaque fois, une petite note type que l’on pourrait résumer par : « malgré de grandes qualités, votre ouvrage n’a pas été retenu par notre comité de lecture car ne correspondant pas à notre ligne éditoriale. » Ce parcours « classique » est en fait un véritable parcours du combattant (et je m’y connais !), avec une chance de succès plus minime que celle de gagner au loto. Mais je voulais néanmoins m’y frotter, pour n’avoir aucun regret. A ce sujet, je tiens à rappeler que j’ai quand même signé un contrat à compte d’éditeur avec une maison d’édition, Kirographaires, contrat qui s’est révélé un véritable guet-apens. Je suis maintenant vacciné. Livré à moi-même comme la plupart des 650 auteurs piégés à l’époque, j’ai eu toutes les peines du monde à me dépêtrer de ce contrat. Depuis, cette maison a été placé en liquidation judiciaire.

L’édition à compte d’auteur (payer pour être édité) n’étant pas ma tasse de thé, je me suis alors tourné vers un système novateur, celui de l’auto-publication. Dans ce dernier système, une entreprise (TheBookEdition en l’occurrence, mais il doit y en avoir d’autres) propose simplement un service d’imprimerie à la demande. L’auteur prend alors à sa charge tout le travail de relecture, de correction et de mise en page ainsi que, dans un second temps, tout ce qui a trait à la promotion de l’ouvrage. La commande et le paiement des clients s’effectuent via un site Internet dédié (www.thebookedition.com), et l’impression se fait à la demande. Une grande souplesse, finalement, qui explique que certains auteurs « reconnus » ont depuis opté pour ce système.

N’ayant eu qu’à me féliciter de ce système (que j’ai également utilisé pour « Monsieur ! », chroniques collégiennes nengone sur mon expérience d’enseignant en Nouvelle-Calédonie), je n’ai pas hésité une seconde avant de renouveler le partenariat avec TheBookEdition pour ce nouveau roman.

 

Quelle est votre manière d’écrire ?

 BT : J’ai le plus grand mal à m’imposer une discipline stricte, du style une à deux heures d’écriture par jour. Par contre, lorsque je décide de me mettre au travail, que je sens que l’envie est là, je peux y passer plusieurs heures d’affilées, sans aucune difficulté. Au sujet de la manière proprement dite, je ne conçois pas l’écriture sans ordinateur. Moi, l’ardent défenseur du format papier, suis absolument incapable d’écrire sur une feuille avec un stylo. Je retouche, remodèle, modifie constamment. Des phrases entières sont retouchées, déplacées. Parfois il s’agit d’un mot, voire d’une simple virgule… L’ordinateur, grâce au copier-coller ou à l’insertion, permet une souplesse extraordinaire pour cela. Je n’ai jamais compté, mais je pense que certains passages se voient modifiés une bonne trentaine de fois, sur des périodes plus ou moins longues qui peuvent aller de quelques secondes à plusieurs mois.

Toute phase d’écriture commence invariablement par une relecture, et donc souvent par une modification, des derniers chapitres écrits. Vous imaginez le travail, sur du papier ?

Quant à la force comique d’un passage, je n’ai qu’un seul juge : moi-même ! Je dois absolument continuer à me faire rire, même (et surtout) au bout de plusieurs relectures. Si ce n’est pas le cas, des modifications s’imposent…

Une fois un chapitre terminé, je le confie à des proches de confiance pour la relecture d’usage qui permet d’éliminer définitivement fautes d’orthographe ou maladresses.

 

« L’Esprit d’équipe » est-il un roman exclusivement à destination des hommes ?

 BT : Bien sûr que non ! Pourquoi les femmes ne seraient-elles pas intéressées par ce qu’ont vécu leur mari, leur copain, leur frère, leur fils ? Et, en plus, il y a de l’humour pour envelopper le tout ! N’importe qui peut lire « L’Esprit d’équipe » : ceux (ou celles, il y en a aussi !) qui ont vécu le service militaire, qui y ont échappé, qui en ont entendu parler, qui sont curieux… Sans parler des antimilitaristes primaires, qui, tout particulièrement, vont boire du petit lait. La lecture de ce roman est uniquement à déconseiller aux militaires eux-mêmes, surtout à ceux qui ne savent pas lire.

 

Vous faites constamment référence à des événements (sportifs, culturels, politiques, faits divers…) des années 80, plus particulièrement de 1988. Pouvez-vous nous expliquer cette démarche ?

 BT : Toutes ces références sont indispensables pour situer l’action dans son contexte. « L’Esprit d’équipe » se veut avant tout un témoignage daté sur une époque révolue, quasi préhistorique. Il faut quand même se rappeler que, à la fin des années 80, le mp3 n’existait pas, le iPod s’appelait walkman, le téléphone portable cabine publique et, à partir de 18 ans, on devait partir gâcher sa jeunesse en allant jouer à la guerre. Les jeunes d’aujourd’hui doivent avoir bien du mal à se représenter cela… « L’Esprit d’équipe » s’adresse aussi à eux.

 

Une dernière question : quelles sont vos références ?

 BT : Référence n’est pas le mot juste, car les personnes que j’admire ont un style tellement personnel qu’il est unique et inimitable. Je ne m’y risquerais pas… Mais, pour répondre à votre question, j’aime beaucoup Pierre Desproges, Woody Allen et, par-dessus tout, Frédéric Dard, c'est à dire San-Antonio.